Après avoir marqué l’histoire du cinéma avec des chefs-d’œuvre comme Le Parrain ou Apocalypse Now, Francis Ford Coppola était bien déterminé à révolutionner à nouveau la façon de faire des films avec un projet unique et démesuré, Megalopolis. C’est le projet d’une vie pour le réalisateur, commençant à écrire des notes sur le sujet en 1982. Initialement prévu au début des années 2000, avec un casting prestigieux composé de Robert De Niro ou Leonardo DiCaprio, le projet avait été abandonné après les attentats du 11 septembre 2001. Ce n’est qu’en 2019 que Megalopolis renaît, porté cette fois-ci par Adam Driver, Nathalie Emmanuel, Giancarlo Esposito ou encore James Caan (finalement remplacé par Dustin Hoffman après le décès de l’acteur en juillet 2022). Pour le financer, le cinéaste a investi 120 millions de dollars de sa propre fortune, en ayant vendu une partie de son vignoble.
Après 13 ans d’absence, Francis Ford Coppola fait donc son grand retour derrière la caméra avec le tant attendu Megalopolis, au cinéma ce mercredi 25 septembre.

Megalopolis est un film particulier. C’est une épopée romaine dans un monde futuriste parallèle au nôtre où New York est devenue New Rome, s’inspirant à la fois du conflit entre Cicéron et l’architecte Sergius Catilina dans “La Conjuration de Catilina”, et celui entre le maire Ed Koch et l’architecte Robert Moses dans le New York des années 70.
Il y a donc au sein de Megalopolis une allégorie de l’Amérique en apparence plutôt pertinente, à la fois sur ses dérives médiatiques, économiques et politiques. Chaque personnage représente une facette du pays assez actuelle, Cesar Catilina (Adam Driver) est un novateur, cherchant à bâtir une utopie avec une nouvelle matière, Frank Cicero (Giancarlo Esposito) est un maire corrompu et conservateur, fermement opposé aux projets de Catilina, et Clodio Pulcher (Shia LaBeouf) est un populiste, cherchant à renverser chacun de ces pouvoirs. Il y a donc une crise à l’intérieur de cette société qui l’amènera à s’éteindre, et c’est tout ce qui intéresse Coppola : “Quand meurt un empire ?”

Tout ces enjeux s’entremêlent alors à la façon d’un péplum classique d’Hollywood tel que Spartacus de Stanley Kubrick, ou d’un film de science-fiction novateur comme Les Mondes futurs de William Cameron Menzies.
Mais Megalopolis ne s’arrête pas là. Le film a la volonté d’en raconter beaucoup, mais il en fait surtout trop. Il déborde de personnages, jusqu’à ce que certains en deviennent inutiles. Et il déborde de dialogues, jusqu’à ce que certains en deviennent didactiques. Les acteurs passent leur temps à citer du Shakespeare ou du Marcus Aurelius alors que cela n’a parfois aucune utilité dans le récit et intellectualise à tort. Coppola lui même se perd à filmer tout ces personnages lors de certaines séquences où on ne s’y retrouve plus avec leur placement dans le cadre, le montage parfois brouillon n’aboutissant pas à la cohérence du tout. Le film avance et le spectateur se sent alors parfois de côté. Peut être faudrait il un second visionnage pour en saisir toutes les subtilités.

Les instants où la mise en scène est la plus vivante, c’est lorsqu’elle est au service des rêveries ou délires des personnages, donnant lieu à des séquences toujours inventives, comme lorsque Adam Driver arrête le temps, figeant à l’instar d’un peintre le monde qui l’entoure. Le cinéaste ne perd donc pas de son savoir faire et réutilise certains de ses effets les plus emblématiques comme les magnifiques fondus enchainés de l’introduction de Apocalypse Now ou du Parrain 2, lors d’une séquence onirique visuellement impressionnante sur le principe du mégalon. Mais il se permet aussi d’utiliser des artifices de certains de ses contemporains comme une séquence entièrement en split-screen sur l’évolution de la ville et des personnages, nous rappelant directement le maître Brian De Palma.
Francis Ford Coppola se permet donc de continuellement expérimenter. Certains plans sont sublimes, comme celui où une main surgissant des nuages vient dérober la lune, et d’autres servent la narration visuelle de façon intelligente comme lorsque d’immenses ombres apparaissent sur des buildings en train de danser dans une ville au bord de l’explosion. Tout cela crée une ambiance particulière et propre à cette œuvre, aussi appuyé par des effets-spéciaux globalement réussis et une bonne bande originale. Visuellement donc, le long-métrage représente bien les deux aspects de sa ville. C’est un film à l’esthétique à la fois kitch, rétro et futuriste. Il y a donc une rupture visuelle complètement assumée, qui rappelle au spectateur le fait que c’est une oeuvre unique, comme on n’en a jamais vu auparavant.
Les ruptures sont constamment présentes au sein de Megalopolis, souvent des ruptures de ton, oscillant entre le sérieux et le comique, mais aussi d’ambiance, représenté par cette boutique de fleurs dorée dans un brouillard de nuit. Le jeu de rupture arrivera à son apothéose lorsque Coppola ira jusqu’à briser le quatrième mur, et qu’un homme parlera devant les spectateurs, à Cesar à travers l’écran (lors de notre projection en tout cas).
Unique, c’est finalement le mot qui décrit le mieux Megalopolis. Francis Ford Coppola joue avec le cinéma moderne et les technologies pour penser le cinéma de demain. Certaines idées peuvent alors paraître futiles, et on peux certainement y reprocher beaucoup de choses, mais le film s’inscrit comme une oeuvre qui, à l’instar de son personnage principal, semble en dehors du temps. A la fois en avance et en retard, Megalopolis n’est peut être pas le chef-d’oeuvre attendu, il est loin d’être parfait, mais c’est bel et bien la proposition de cinéma la plus originale et ambitieuse qu’on ait vu à Hollywood depuis des années, et pour ça, on peut remercier Francis Ford Coppola.