C’est sans doute l’un des films français les plus importants de l’année : Little Jaffna arrive enfin en salles ce 30 avril. Le film aura nécessité en tout plus de 6 ans de développement de la part de Lawrence Valin, réalisateur, acteur principal et scénariste du long-métrage. Un long achèvement qui se verra récompensé : succès critique, Prix du Jury/du Public au Festival Reims Polar, Prix du Public au Festival international Red Sea 2024… Alors, qu’est ce qu’on en pense ?
La représentation de la communauté tamoule, et plus généralement la communauté sud-asiatique, dans le cinéma français demeure malheureusement très stéréotypée. Inutile de faire un schéma des rôles réducteurs que l’on peut apercevoir, on se sait. C’est d’ailleurs l’une des motivations de Valin de se prêter au jeu de la réalisation, proposer sa propre vision et faire changer les mentalités. Dans les rares représentations réalistes on peut citer l’excellent Dheepan de Jacques Audiard, vainqueur de la Palme d’Or au Festival de Cannes 2015. Pour l’une des premières fois dans le cinéma français, le douloureux sujet de la guerre civile au Sri Lanka est évoqué et permet de mettre en lumière ce conflit, longtemps ignoré de la communauté internationale.

Dans Little Jaffna on suit Michael, interprété par Lawrence Valin, un jeune policier infiltré au cœur d’un réseau de rebelles tamouls. Au cours de son enquête, sa loyauté sera mise à l’épreuve, dans une poursuite implacable contre l’un des gangs les plus cachés et puissants de Paris. Le nom Little Jaffna n’est pas choisi au hasard. Jaffna est la plus grande ville du Nord du Sri Lanka, peuplée principalement par la communauté tamoule. Little Jaffna fait référence au quartier du 18ème arrondissement à Paris, cœur de la communauté tamoule de la capitale. Il est important de souligner que ce surnom s’est forgé dans le courant des années 1980 lorsque de nombreux tamouls fuient le Sri Lanka et trouvent refuge dans la capitale.
Revenir sur un tel sujet au cinéma représentait un véritable défi à relever, et la force de Little Jaffna réside dans son mélange de genre. Entre polar, action et thriller, le long-métrage parvient à proposer un divertissement ambitieux, généreux et captivant. L’inspiration des films de Martin Scorsese notamment The Departed, a souvent été évoquée par l’équipe du film. Cependant, on ne peut s’empêcher de penser au cinéma du sud de l’Inde tant dans la mise en scène de l’action que dans cette bande originale imprégnée de sonorités dravidiennes. D’ailleurs, le film n’hésite pas à rendre hommage aux productions kollywoodiennes : Entre le standee de la superstar Thalapathy Vijay et les réactions des fans face au film Theri, filmées au sein même du cinéma Mégarama de Villeneuve-La-Garenne, lieu emblématique des fan-shows de films sud-indiens. Une manière de souligner à quel point le cinéma fait partie intégrante de la culture tamoule.

En parlant de Theri, comment ne pas évoquer la présence de l’actrice vétérane Radikaa Sarathkumar au casting qui interprète la grand-mère du protagoniste principal. La production a fait le méticuleux choix de mêler à la fois acteurs débutants et professionnels issus du Sud de l’Inde. Parmi eux, Aadukalam Murugadoss (Sendhil) et Vela Ramamoorthy, l’interprète d’Aya. Possiblement le personnage le plus intéressant du film dont la présence à l’écran, menaçante et imposante ne passe pas inaperçue. Présenté comme un grand contrebandier, son personnage incarne aussi le chef de cette vaste famille. C’est d’ailleurs dans une scène clé, chargée d’émotions et de frissons, que le long-métrage met en lumière la solidarité de ce peuple face aux atrocités commises au Sri Lanka. Tous les regards se tournent naturellement vers notre protagoniste, joué par Lawrence Valin. Michael est un personnage complexe, pris entre son enquête visant les siens et la difficile acceptation de ses origines. Pour son premier rôle au cinéma, Puviraj Raveendran (Puvi) livre une performance plus que convaincante avec une mention spéciale pour son segment de romance avec Kawsie Chandra (Selvi). Le plan artistique est tout aussi remarquable. Filmé en plein cœur de Paris, les décors du film proposent quelque chose de coloré et vivant, et c’est pas habituel pour un film noir… Pour l’anecdote, l’explosive scène d’ouverture du film est filmée dans la véritable fête de Ganesh, un événement majeur de la communauté hindoue célébré dans la capitale chaque année.
Il est nécessaire de rappeler que la guerre civile au Sri Lanka ne se résume pas à un simple conflit : c’était un génocide. Plus de 100 000 morts en 25 ans, des dizaines de milliers de civils tamouls tués, disparitions forcées et de nombreux enfants retrouvés orphelins (évoqué dans le film par ailleurs). C’est un immense plaisir de voir de plus en plus d’artistes franco-tamouls engagés dans la médiatisation de ce conflit au cinéma. D’ailleurs, on vous recommande le poignant court-métrage Anushan de Vibirson Gnanatheepan si vous voulez en découvrir davantage sur des productions franco-tamoules.