Il fallait oser ressusciter l’éternelle Planète des Singes, 7 ans après la fin de la trilogie culte portée par Andy Serkis. Pourtant, l’opportunité d’explorer la période entre la révolution de César et le film original de 1968 était trop belle pour ne pas être exploitée. Sans Matt Reeves à la baguette, parti faire le bonheur de DC avec The Batman, mais également sans Serkis, visage caché de la saga qui a indéniablement contribué à son succès entre 2011 et 2017. Le Nouveau Royaume était un pari, risqué sur le papier, mais ce premier test a été plutôt bien géré par la nouvelle équipe à la manœuvre.

Les premières minutes du Nouveau Royaume posent le ton, et introduisent assez brillamment le défi du long-métrage : comment passer derrière César, prophète magnifique et coeur battant des trois derniers films ? Faire table rase du passé, tout en lui rendant hommage, voilà tout l’enjeu pour le réalisateur Wes Ball, surtout connu pour sa trilogie Le
Labyrinthe. Et il s’y échine tout au long d’une longue introduction, qui sert de recontextualisation d’un monde transformé. Inutile d’espérer un caméo de Cornelius ou d’un membre de la clique de César (à moins que ?), Le Nouveau Royaume se déroule “plusieurs générations” après les évènements de Suprématie, et suit une nouvelle galerie de personnages.

Les singes sont désormais complètement dominants, tandis que les humains ont définitivement été relégués à l’état de sauvages. Mais cette nouvelle civilisation est encore balbutiante, et reste fragmentée. Le premier tiers du long-métrage a donc pour objectif de présenter le nouveau visage de la franchise, Noa, membre d’un clan de singes éleveurs d’aigles. Les humains sont pour eux des “échos”, et César a été oublié au fil du temps. Si elle entache quelque peu le rythme global de l’entreprise, cette première partie est essentielle pour tourner la page et s’engager dans ce nouveau récit. D’autant que sur le plan technique, les magiciens de Weta ont encore fait parler tout leur talent. Les décors sont sublimes, tout comme les primates, toujours aussi bluffants à l’écran. De quoi permettre aux nouveaux acteurs d’offrir un vrai ancrage émotionnel à leurs personnages, avec des expressions faciales plus vraies que nature.

Pour reconquérir le public, il aurait été facile de sombrer dans le pur fan-service. De faire une suite directe de Suprématie contant l’installation des singes dans leur nouveau havre de paix. Mais Le Nouveau Royaume, en introduisant un personnage qui ne sait rien de César, coupe délibérément le cordon pour mieux le ramener à la lumière par la suite. Sans être une continuation directe, le film traite bien de l’héritage de cette figure messianique, mais le fait avec bien plus de grâce qu’attendu. Rapidement, on comprend que Noa (Owen Teague) n’est pas le même archétype, et, rapidement aussi, on se fait plutôt bien à l’idée. Car si comme César, c’est un jeune singe curieux et malin, il n’a pas (encore ?) son aura et n’est pas tiraillé par son attachement pour les hommes. Noa n’a qu’un but, défendre sa famille et son clan, quitte à entrer en conflit avec d’autres membres de son espèce. Grande nouveauté de ce nouvel opus, les singes ne sont ainsi plus tous rassemblés sous la même bannière. Une idée déjà explorée par le passé (Koba dans L’Affrontement, les pisteurs qui aident les humains dans Suprématie), mais jamais aussi radicale. Au sommet de la chaîne évolutive, les singes intelligents en petit nombre se sont tellement développés qu’ils sont organisés en diverses factions, sans forcément de liens entre elles. De quoi donner du sel à l’antagoniste du film, Proximus, qui aspire à unifier les clans disparates sous son autorité.

Pour ceux qui s’inquiétaient de ce nouveau départ, Le Nouveau Royaume a quelque chose d’assez rassurant, remixant avec beaucoup d’aisance ce qui avait fait la force de ses prédécesseurs. Il est probablement un ton en-dessous de L’Affrontement et Suprématie, mais agit comme un retour efficace dans le monde des singes, tout en s’approchant doucement du statu quo du film de 1968. Le long-métrage ne manque d’ailleurs pas d’y faire référence, au gré d’une chasse à l’homme (littéralement) terrifiante, ou bien d’une réflexion amusante sur l’utilisation du prénom Nova donné aux humaines. S’il adopte un ton plus proche du film d’aventure, Le Nouveau Royaume n’oublie pas pour autant la noirceur qui a caractérisé les films de Matt Reeves. La mort est tapie dans l’ombre, et les nouveaux protagonistes introduits sont tout sauf binaires. C’est là sans doute la plus grande réussite du long-métrage, qui parvient sans mal à saisir toute l’ambiguïté de ses personnages.

Qu’il s’agisse de Noa lui-même, incertain sur le sens à donner à ce qu’il apprend de César, ou bien de Mae, la jeune humaine avec qui il voyage. La saga a toujours traité avec malice le nouveau rapport de force entre primates et humains, et le fait encore avec cette alliance de circonstance. Contrairement à Malcolm dans L’Affrontement, qui croyait en une paix durable avec les Singes, Mae représente le désespoir d’une humanité au bord de l’extinction, prête à reprendre une dernière fois les armes pour le destin de la planète. Outre les humains, logiquement moins présents qu’auparavant mais pas encore complètement oubliés, la vraie richesse thématique du film demeure sa gestion de César et de son héritage. Quelle trace a laissé ce messie, plusieurs siècles après ses actions ? Oubliées par certains (Noa et son clan), ses paroles subsistent par le biais d’un vieil Orang-Outan, qui tente tant bien que mal de garder en vie son message de paix. Mais surtout, sa figure est reprise par Proximus, le Roi autoproclamé des Singes qui gouverne par une maxime bien connue : Singes ensemble forts.

Objet de culte, outil de propagande ou simplement oublié par le temps, César hante toujours cette Planète des Singes. Même absent, il est peut-être finalement toujours ce coeur battant qui fait de la franchise ce qu’elle est aujourd’hui. Pas juste une énième série de blockbusters sans âme, mais des films classieux, qui abhorrent le manichéisme et tentent de réfléchir leur héritage, encore et toujours. Avec Le Nouveau Royaume, la saga semble être repartie sur des bases prometteuses, et sa fin ouverte donne plutôt envie de découvrir la suite du projet de Wes Ball avec ses personnages. César est mort oui, mais ses singes vivent plus que jamais au cinéma.
La Planète des Singes : Le Nouveau Royaume est une suite à la hauteur, qui remixe avec classe l’héritage du César d’Andy Serkis. Sous la houlette de Wes Ball, la franchise est toujours techniquement superbe, et son étude de la récupération de la figure prophétique est absolument fascinante. Quelques légers problèmes de rythme n’entachent pas ce qui est un retour réussi de la saga au cinéma !