QUAND RENAÎT LA NOUVELLE VAGUE
On était particulièrement attentifs à ce nouveau film de Richard Linklater, ce cinéaste pas comme les autres, qui s’inscrit lui-même dans une vague à part entière du cinéma américain contemporain avec ses films uniques en leur genre (le drame familial Boyhood, tourné sur 11 ans, ou la trilogie Before qui se déroule aussi sur trois décennies). Linklater est doué pour parler du temps, mais aussi pour filmer la capitale sous son meilleur jour. Before Sunset, dans lequel les amoureux Ethan Hawke et Julie Delpy s’y promènent, montre un Paris bohème et agréable. Ici encore, même en noir et blanc, au temps de la Nouvelle Vague, Paris revit comme au premier jour.
Mais là n’était pas le seul enjeu, puisqu’il s’agit ici de faire renaître, le temps d’1 h 45, le mouvement cinématographique le plus populaire de son époque, et même du siècle actuel. L’époque glorieuse et révolutionnaire du cinéma français : le triomphe des 400 coups de Truffaut, les débuts de Claude Chabrol, le déclic de Godard, bien décidé lui aussi à réaliser son premier film, les premières critiques des Cahiers du Cinéma… Bref, Linklater propose non pas un simple long-métrage, mais une plongée contemporaine dans un segment fondamental du cinéma.
QUAND LINKLATER FAIT COMME TARANTINO (OU PRESQUE)

Si l’on apprécie le geste et la manière de faire de Richard Linklater, on pense machinalement à un autre cinéaste, tout autant expert de cette époque clé du cinéma français : Quentin Tarantino. Tarantino, si adorateur de Godard qu’il a nommé sa société de production A Band Apart, en hommage au film de ce dernier sorti en 1964. Ce même Tarantino a souvent évoqué le réalisateur comme une influence majeure. Tarantino aurait été tout aussi adéquat pour faire ce film, mais il a choisi le Los Angeles des années 60 pour livrer sa lettre d’amour au cinéma, réalisant au passage son œuvre la plus personnelle et touchante.
Et si justement on voit dans Nouvelle Vague une intention similaire chez Linklater, c’est peut-être là que réside le problème : l’absence d’émotion, voire même l’absence d’une réelle personnalité. Faire défiler toute la galerie de la Nouvelle Vague, critique et cinématographique, était en soi autant un risque considérable que la promesse d’un film de cinéphile à ses pairs.
QUE RESTE-T-IL DE CETTE NOUVELLE VAGUE (HORMIS SON PLAISIR) ?

Si le plaisir est présent, il reste toutefois éphémère. Hormis cette démarche cinéphilique, le talent de Linklater n’y est point ! Comme un long-métrage de cinéphile qui reconstitue joliment une période clé de l’histoire du cinéma sans vraiment se l’approprier (ce que faisait Tarantino avec Once Upon a Time in Hollywood). Ici, c’est amusant, conforme à la réalité, et le geste permettra à la génération actuelle d’être sensibilisée aux films de Truffaut, Chabrol, Varda et Godard bien sûr, mais Linklater déçoit sur le plan artistique.
Ce noir et blanc fait illusion, mais n’est pas comparable aux véritables films en noir et blanc de cette époque, dépeinte par notre réalisateur avec passion. Pour ce qui est de la passion, c’est bien ce qui transparaît le plus, et c’est malheureusement sa seule qualité défendable. Hormis cela, l’artiste est ridiculement caricaturé, sans doute pour valoriser le caractère égocentré de l’homme présenté comme un critique sévère des Cahiers du Cinéma, angoissé de voir ses camarades faire leurs premiers pas prometteurs sur grand écran.
LE REDOUTABLE GODARD

Il reste plus de choses de l’excellent film de Michel Hazanavicius, Le Redoutable, dans lequel Louis Garrel incarne un Godard totalement engagé durant la période de Mai 68, alors que La Chinoise vient de sortir. Un long-métrage bien plus pertinent et important, dont la représentation de Godard est bien plus fidèle à l’image que tout le monde connaît. Un Godard en colère, amoureux, artiste, avec la pensée intellectuelle qu’on lui connaît.
Si Richard Linklater a su recréer l’esprit de la Nouvelle Vague, son film à lui ressemble plus à un fantasme de cinéphile techniquement abouti, mais cinématographiquement pas à la hauteur de ce qu’on pourrait attendre de lui. Comme Tarantino avant lui, il n’a pas pu résister à la tentation de faire son film de cinéphile mais contrairement à ce dernier, il s’est oublié dans cette aventure nostalgique, drôle et pratiquement fidèle, mais qui ne laissera nulle trace dans l’industrie cinématographique.
Dommage pour un metteur en scène normalement renommé pour son style unique, ce que n’est pas Nouvelle Vague, et c’est bien là que réside tout le problème.